La question de l’opposabilité de la faute contractuelle revient régulièrement sur le devant de la scène juridique.

En d’autres termes, le tiers à un contrat peut-il obtenir réparation du préjudice qu’il a subi car l’une des parties à un contrat (auquel il n’est pas partie) n’a pas exécuté ses obligations ? Et si oui sur quel fondement : délictuel ou contractuel ? 

D’un côté, la Cour de cassation a réaffirmé récemment (Cass. Ass. Plén. 13 janvier 2020 n°17-19.963) que le seul manquement à une obligation contractuelle « est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage » et qu’il n’est pas nécessaire « de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement »[1].

Le tiers doit donc, pour obtenir réparation du préjudice résultant d’une faute contractuelle, uniquement apporter la preuve du manquement contractuel, et du lien de causalité entre celui-ci et son préjudice.

De l’autre côté, le projet de réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle entend mettre fin à ce principe par un article 1234 qui impose au tiers de faire un choix entre : 

  • Invoquer la responsabilité délictuelle de l’auteur de la faute et prouver l’existence d’une faute délictuelle ;
  • Invoquer la responsabilité contractuelle de l’auteur en pouvant invoquer sa faute contractuelle. Les conditions et limites contractuelles (notamment clauses limitatives de responsabilité) lui sont alors opposables.

Malgré les critiques régulières émises à l’égard de sa solution, la Cour de cassation y reste attachée et en délimite les contours aux termes d’un arrêt de la Chambre Commerciale du 15 juin 2022 (n°19-25750).

En l’espèce deux banques avaient conseillé une personne sur la réalisation d’investissements bancaires, par le biais notamment de la souscription d’une assurance vie.

L’opération conseillée par les banques se révèlent finalement être un échec faisant réaliser une moins-value à l’investisseuse.

Suite à son décès ses héritiers décident d’assigner, sur le fondement délictuel, l’établissement bancaire en indemnisation des préjudices résultants du manquement à leurs obligations d’information, de conseil envers leur parent emprunteur. 

En d’autres termes, les héritiers souhaitaient invoquer, en qualité de tiers, les manquements contractuels commis par les banques envers leur mère. 

Les juges du fond ont cependant rejeté leurs demandes considérant qu’ils ne se prévalaient pas d’un préjudice qu’ils auraient personnellement subi mais d’un préjudice subi par leur mère, dont l’indemnisation devait donc être recherchée sur le plan contractuel.

Les héritiers, dans le cadre de leur pourvoi en cassation, faisaient valoir qu’ils subissaient chacun un préjudice personnel consistant dans l’obligation de régler, sur leurs bien personnels, le reliquat des prêts consentis par leur mère. 


Se posait alors la question de savoir sous quelle condition le tiers au contrat, et plus précisément un héritier, peut se prévaloir d’un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle ?

La Haute juridiction rejette le pourvoi sur le fondement de l’article 1165 du Code civil, devenu 1240, rappelant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Cass. Com. 15 juin 2022 n°19-25750). 

La Cour précise néanmoins qu’un héritier ne peut agir sur ce fondement en invoquant un manquement contractuel commis envers son auteur qu’en réparation d’un préjudice qui lui est personnel.

Or, en l’espèce, selon la Cour, « n’est pas un préjudice personnel subi par l’héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l’être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession en application de l’article 724 du code civil. »

On observera que cette nouvelle décision, limitera autant qu’elle éclaircira les possibilités de recours des héritiers à l’égard des co-contractants de leur auteur.

  1. L’impérative nécessité d’un préjudice personnel subi par l’héritier pour pouvoir invoquer la responsabilité délictuelle du cocontractant

Tout manquement contractuel, qu’il s’agisse d’un manquement à une obligation de moyens ou de résultat, ayant causé un dommage à un tiers, quand bien même il s’agirait d’un tiers intéressé, ouvre droit à réparation à ce dernier sur le fondement du nouvel article 1240 du Code civil.

Cependant la reconnaissance de la responsabilité du co-contractant vis-à-vis du tiers n’est pas systématique.

En effet, si le manquement contractuel peut être invoqué par le tiers, il faudra tout de même que celui-ci parvienne à prouver que les conditions de la responsabilité délictuelle sont satisfaites, à commencer par l’existence d’une faute ou d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. 

Or selon la Cour,  » ne constitue pas un préjudice personnel subi par lhéritier celui qui aurait pu être effacé du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l’être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession  » en application de l’article 724 du Code civil

En d’autres termes, sans ce caractère personnel celui-ci ne pourra invoquer le manquement d’une des parties. 

  1. Une décision également implicitement fondée sur le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle

Il est intéressant de noter que la Cour de cassation rappelle que les héritiers pouvaient agir sur le fondement contractuel, en leur qualité d’héritier, en n’invoquant non pas un préjudice qui leur était propre mais un préjudice subi par leur mère et donc par la succession : 

« N’est pas un préjudice personnel subi par l’héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l’être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession en application de l’article 724 du code civil. »

En effet, en application de l’article 724 du Code Civil, « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt. »

Les héritiers pouvaient donc invoquer les droits dont bénéficiait leur mère à l’égard des banques en vertu des contrats conclus avec ces dernières.

La sévérité de la Cour quant à la démonstration d’un préjudice personnel aux héritiers s’explique donc par le fait qu’ils ne sont pas de vrais tiers au contrat puisqu’en leur qualité d’héritiers, la voie contractuelle leur était également offerte.

La Cour vient donc limiter leur accès par la voie contractuelle, réaffirmant ainsi le principe de non-cumul des responsabilité délictuelles et contractuelles.


[1] Solution posée par l’arrêt Boot shop, du 6 octobre 2006 (Assemblée Plénière, 6 octobre 2006, n°05-13255) : « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

Article rédigé par Maître Valentine Squillaci et Dina Labed, stagiaire du Cabinet

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