Précisions sur le fondement de l’action des héritiers à l’encontre du cocontractant de leur auteur (Cass. Com. 15 juin 2022 n°19-25750)

                               

La question de l’opposabilité de la faute contractuelle revient régulièrement sur le devant de la scène juridique.

En d’autres termes, le tiers à un contrat peut-il obtenir réparation du préjudice qu’il a subi car l’une des parties à un contrat (auquel il n’est pas partie) n’a pas exécuté ses obligations ? Et si oui sur quel fondement : délictuel ou contractuel ? 

D’un côté, la Cour de cassation a réaffirmé récemment (Cass. Ass. Plén. 13 janvier 2020 n°17-19.963) que le seul manquement à une obligation contractuelle « est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage » et qu’il n’est pas nécessaire « de démontrer une faute délictuelle ou quasi délictuelle distincte de ce manquement »[1].

Le tiers doit donc, pour obtenir réparation du préjudice résultant d’une faute contractuelle, uniquement apporter la preuve du manquement contractuel, et du lien de causalité entre celui-ci et son préjudice.

De l’autre côté, le projet de réforme du droit de la responsabilité extracontractuelle entend mettre fin à ce principe par un article 1234 qui impose au tiers de faire un choix entre : 

  • Invoquer la responsabilité délictuelle de l’auteur de la faute et prouver l’existence d’une faute délictuelle ;
  • Invoquer la responsabilité contractuelle de l’auteur en pouvant invoquer sa faute contractuelle. Les conditions et limites contractuelles (notamment clauses limitatives de responsabilité) lui sont alors opposables.

Malgré les critiques régulières émises à l’égard de sa solution, la Cour de cassation y reste attachée et en délimite les contours aux termes d’un arrêt de la Chambre Commerciale du 15 juin 2022 (n°19-25750).

En l’espèce deux banques avaient conseillé une personne sur la réalisation d’investissements bancaires, par le biais notamment de la souscription d’une assurance vie.

L’opération conseillée par les banques se révèlent finalement être un échec faisant réaliser une moins-value à l’investisseuse.

Suite à son décès ses héritiers décident d’assigner, sur le fondement délictuel, l’établissement bancaire en indemnisation des préjudices résultants du manquement à leurs obligations d’information, de conseil envers leur parent emprunteur. 

En d’autres termes, les héritiers souhaitaient invoquer, en qualité de tiers, les manquements contractuels commis par les banques envers leur mère. 

Les juges du fond ont cependant rejeté leurs demandes considérant qu’ils ne se prévalaient pas d’un préjudice qu’ils auraient personnellement subi mais d’un préjudice subi par leur mère, dont l’indemnisation devait donc être recherchée sur le plan contractuel.

Les héritiers, dans le cadre de leur pourvoi en cassation, faisaient valoir qu’ils subissaient chacun un préjudice personnel consistant dans l’obligation de régler, sur leurs bien personnels, le reliquat des prêts consentis par leur mère. 


Se posait alors la question de savoir sous quelle condition le tiers au contrat, et plus précisément un héritier, peut se prévaloir d’un manquement contractuel sur le fondement de la responsabilité délictuelle ?

La Haute juridiction rejette le pourvoi sur le fondement de l’article 1165 du Code civil, devenu 1240, rappelant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage (Cass. Com. 15 juin 2022 n°19-25750). 

La Cour précise néanmoins qu’un héritier ne peut agir sur ce fondement en invoquant un manquement contractuel commis envers son auteur qu’en réparation d’un préjudice qui lui est personnel.

Or, en l’espèce, selon la Cour, « n’est pas un préjudice personnel subi par l’héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l’être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession en application de l’article 724 du code civil. »

On observera que cette nouvelle décision, limitera autant qu’elle éclaircira les possibilités de recours des héritiers à l’égard des co-contractants de leur auteur.

  1. L’impérative nécessité d’un préjudice personnel subi par l’héritier pour pouvoir invoquer la responsabilité délictuelle du cocontractant

Tout manquement contractuel, qu’il s’agisse d’un manquement à une obligation de moyens ou de résultat, ayant causé un dommage à un tiers, quand bien même il s’agirait d’un tiers intéressé, ouvre droit à réparation à ce dernier sur le fondement du nouvel article 1240 du Code civil.

Cependant la reconnaissance de la responsabilité du co-contractant vis-à-vis du tiers n’est pas systématique.

En effet, si le manquement contractuel peut être invoqué par le tiers, il faudra tout de même que celui-ci parvienne à prouver que les conditions de la responsabilité délictuelle sont satisfaites, à commencer par l’existence d’une faute ou d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. 

Or selon la Cour,  » ne constitue pas un préjudice personnel subi par lhéritier celui qui aurait pu être effacé du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l’être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession  » en application de l’article 724 du Code civil

En d’autres termes, sans ce caractère personnel celui-ci ne pourra invoquer le manquement d’une des parties. 

  1. Une décision également implicitement fondée sur le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle

Il est intéressant de noter que la Cour de cassation rappelle que les héritiers pouvaient agir sur le fondement contractuel, en leur qualité d’héritier, en n’invoquant non pas un préjudice qui leur était propre mais un préjudice subi par leur mère et donc par la succession : 

« N’est pas un préjudice personnel subi par l’héritier celui qui aurait pu être effacé, du vivant de son auteur, par une action en indemnisation exercée par ce dernier ou qui peut l’être, après son décès, par une action exercée au profit de la succession en application de l’article 724 du code civil. »

En effet, en application de l’article 724 du Code Civil, « Les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt. »

Les héritiers pouvaient donc invoquer les droits dont bénéficiait leur mère à l’égard des banques en vertu des contrats conclus avec ces dernières.

La sévérité de la Cour quant à la démonstration d’un préjudice personnel aux héritiers s’explique donc par le fait qu’ils ne sont pas de vrais tiers au contrat puisqu’en leur qualité d’héritiers, la voie contractuelle leur était également offerte.

La Cour vient donc limiter leur accès par la voie contractuelle, réaffirmant ainsi le principe de non-cumul des responsabilité délictuelles et contractuelles.


[1] Solution posée par l’arrêt Boot shop, du 6 octobre 2006 (Assemblée Plénière, 6 octobre 2006, n°05-13255) : « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».

Article rédigé par Maître Valentine Squillaci et Dina Labed, stagiaire du Cabinet

L’établissement des servitudes discontinues par destination du père de famille (Civ. 3ème, 23 mars 2022, n°21-11.936)

Civ. 3e, 23 mars 2022, Pourvoi n°21-11.936

« N’achetez pas votre maison avant d’avoir acheté votre voisin ».

Cet adage illustre la problématique des relations de voisinage, qui peuvent s’avérer particulièrement délicates notamment lorsque les fonds voisins sont grevés de servitude immobilière.

La servitude est un droit réel, c’est à dire qu’il s’exerce sur un bien et non sur une personne, bénéficiant à un fonds immobilier au détriment d’un autre fonds.

Il existe diverses servitudes comme la servitude de passage qui est la plus connue, qui permet à un propriétaire de passer sur la propriété de son voisin pour accéder à son bien si celui-ci ne dispose pas d’un accès à la voie publique.

Nous nous intéresserons ici à une servitude moins connue et plus complexe, la servitude par destination du père de famille.

Celle-ci est définie par l’article 693 du Code Civil qui précise qu' »Il n’y a destination du père de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude. »

En d’autres termes, cette servitude existe lorsque deux fonds, qui étaient initialement réunis, ont fait l’objet d’aménagement par leur propriétaire initial, lesquels doivent subsister suite à la division.

La Cour de Cassation, par un arrêt du 23 mars 2022, a eu à se prononcer sur la possibilité d’acquérir une telle servitude.

En effet, un couple de propriétaires d’une parcelle demandait la remise en état d’une canalisation d’évacuation des eaux usées auprès du propriétaire de la parcelle voisine en invoquant l’existence d’une servitude par destination du père de famille entre les deux parcelles. 

La cour d’Appel de Caen, dans une décision du 15 décembre 2020, estimait que la servitude d’évacuation des eaux usées par destination du père de famille n’existait pas et ainsi rejeté la demande du couple de propriétaires au motif implicite que la servitude était discontinue.

Conformément à l’article 688 du Code Civil, une servitude est discontinue lorsqu’elle a besoin du du fait actuel de l’homme pour être exercée.

La servitude d’égout d’eaux usées est, de jurisprudence constante une servitude discontinue dès lors qu’elle exige pour son exercice le fait de l’homme et ce, même si elle s’exerce au moyen de canalisations permanentes et apparentes (voir notamment Civ. 13ème, 11 mai 1976, n°93-13.093 ; Civ. 3ème, 15 février 1995, n°93-13.093 et Civ. 3ème 21 juin 2000, n°97-22.064).

Or, en application de l’article 691 du même code, les servitudes discontinues ne peuvent s’établir que par titre, ce qui, selon la Cour d’appel, excluait la possibilité de constituer une telle servitude par destination du père de famille.

Les propriétaires formèrent néanmoins un pourvoi en cassation pour obtenir l’acquisition de la servitude par destination du père de famille. 

La Cour devait donc se prononcer sur la question suivante : peut-on acquérir une servitude par destination du père de famille alors même que cette servitude est discontinue?

Par un arrêt du 23 mars 2022, la troisième chambre civile casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel en reprenant dans son attendu l’article 694 du Code Civil et au motif que « la destination du père de famille vaut titre des servitudes discontinues lorsqu’existent, des signes apparents de la servitude, et que l’acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ». 

Par cette nouvelle décision, la troisième chambre civile éclaircit un point occulte en droit des biens s’agissant de la servitude par destination du père de famille.

  1. L’acquisition de la servitude par destination du père de famille possible même pour les servitudes discontinues 

Il faut revenir sur les textes régissants la servitude par destination du père de famille pour mieux saisir les enjeux de cette décision.

Ll’article 692 du Code Civil n’admet la destination du père de famille que pour les servitudes « continues et apparentes ».

Cependant alors, l’article 694 du Code Civil précise, de manière générale, que la servitude par destination du père de famille est constituée lorsqu’« il existe un signe apparent de servitude ».

Ainsi le doute planait sur la question des servitudes apparentes et discontinues. 

La troisième chambre civile a fait le choix d’ouvrir la possibilité d’acquérir une servitude par destination du père du famille alors même qu’il s’agit d’une servitude discontinue comme en l’espèce. 

Cet arrêt a donc le mérite d’être clair et précis en ce qu’il pose clairement la possibilité d’une servitude par destination du père de famille pour les servitudes discontinues à condition qu’il existe une signe apparent de servitude.

Ainsi la cour de cassation semble plutôt favoriser une conception souple de la servitude par destination du père de famille afin de concilier les divergences des textes de loi, certains auteurs pourraient reprocher à la cour de cassation d’avoir favorisé une interprétation trop large des articles afin d’élargir le domaine d’application de la servitude par destination du père de famille mais n’est-ce pas l’office du juge que d’interpréter la loi ? 

Néanmoins, la cour de cassation rappelle les conditions de l’acquisition de la servitude par destination du père de famille et elle rajoute même deux conditions supplémentaires pour les servitudes discontinues qui doivent avoir nécessairement « des signes apparents de la servitude » et « l’acte de division ne contient aucune stipulation contraire à son maintien ». 

  1. Une décision conforme à la jurisprudence antérieure 

Ce n’est pas la première fois que la troisième chambre civile de la cour de cassation juge de la sorte, en effet elle ne fait que transposer le motif de la décision du 24 novembre 2004, décision qui avait été justement saluée par la doctrine (Civ. 3e, 24 novembre 2004, Epoux Pic c/ Epoux Raffin, 03-16.366). 

Le second apport de cette décision, que l’on retrouve également dans la décision précitée, réside dans le fait que pour avoir la constitution de la servitude par destination du père de famille, il ne faut qu’aucune stipulation de l’acte de division soit contraire au maintien de la servitude autrement dit il existe une sorte de présomption de servitude et « les servitudes par destination du père de famille ne sont, en définitive, qu’une variété de servitudes conventionnelles qui reposent sur une condition tacite des parties et dont on présume l’existence à défaut de titre contraire » (Bergel, RDI 2005, P.209 sous Civ. 3e, 24 nove 2004, Epoux Pic c/ Epoux Raffin) 

Article rédigé par Me Valentine Squillaci, associée du Cabinet M7 Avocats et Ouafa El Moudene, stagiaire

Le Cabinet M7 Avocats présent au Salon Immotissimo à Lille le 18 mars

Nous venons à votre rencontre au salon Immotissimo !

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Loi du 14 février 2022 : Vers une plus grande protection de l’entrepreneur individuel et de l’auto-entrepreneur

Un professionnel souhaitant exercer une activité indépendante seul a plusieurs options pour l’exercice de cette activité : 

  • Il peut tout d’abord créer une société unipersonnelle (SASU, SARLU, etc.) qui lui permettra de mettre en place une entité totalement distincte de son patrimoine personnel et ayant une personnalité juridique propre.

La création d’une société peut avoir des avantages fiscaux et permet également de faciliter la cession de l’activité professionnelle puisqu’il suffit alors de céder les titres de la société.

  • Il peut ensuite opter pour le statut d’entrepreneur individuel (statut également connu sous l’appellation « auto-entrepreneur » ou « auto-entreprise » lorsque l’entrepreneur a opté pour le régime simplifié permettant des obligations comptables et déclaratives allégées lorsque le chiffre d’affaires ne dépasse pas un certain montant) 

L’inconvénient de ce type d’exercice résidait jusqu’ici dans l’absence de séparation entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur.

En effet, les créanciers professionnels de l’entrepreneur avaient la possibilité de « s’attaquer » au patrimoine personnel de ce dernier, à l’exception de sa résidence principale, protégée légalement.

L’entrepreneur individuel pouvait, pour pallier cette difficulté, publier une déclaration d’insaisissabilité pour protéger ses bien personnels. Cependant cela supposait d’établir un acte notarié et de la publier, générant ainsi des frais supplémentaires.

  • L’indépendant pouvait également opter pour un statut intermédiaire, à savoir l’Entreprise Individuelle à Responsabilité Limitée (EIRL) qui permettait à l’entrepreneur de protéger son patrimoine personnel sans constituer de société́, en effectuant une déclaration d’affectation.

Cette déclaration devait dresser la liste des biens qu’il décidait d’affecter à l’exercice de son activité professionnelle et seuls ces biens pouvaient être saisis par ses créanciers professionnels. 

Ce statut n’a cependant pas connu un réel succès dès lors qu’il était soumis à un régime relativement contraignant : la tenue d’une comptabilité́ commerciale était obligatoire quel que soit le régime fiscal, les comptes annuels devaient être déposées annuellement au greffe du tribunal de commerce. 

La loi du 14 février 2022, en faveur de l’activité professionnelle indépendante, publiée au journal officiel le 15 février 2022, a supprimé ce statut de l’EIRL tout en améliorant considérablement la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel.

En effet, le nouvel article L526-22 du code de commerce opère désormais une distinction automatique entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel. 

Seuls les éléments du patrimoine dits « utiles » à l’activité professionnel constitueront le patrimoine professionnel pouvant être saisis par les créanciers, sauf conventions contraires. 

Le code des procédures civiles d’exécution est également modifié en ce sens, puisque l’article L161-1 dudit code dispose que les créanciers professionnels ne pourront engager une procédure d’exécution qu’à l’encontre du patrimoine professionnel (sauf manœuvres frauduleuses ou d’inobservation grave et répétée des obligations fiscales ou sociales par l’entrepreneur).

D’un point de vue de la théorie juridique, la loi du 22 février 2022 met fin à la théorie de l’unicité du patrimoine selon laquelle chaque personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine qui est le gage général des créanciers.

Il est désormais acquis qu’une personne peut avoir un patrimoine personnel et un patrimoine professionnel distincts, limitant ainsi le gage des créanciers.

Valentine Squillaci

Avocate associée

Le Cabinet participe au Winter Challenge 2021 organisé par l’école Win Sport School Lille

Cette année, le Winter Challenge s’est invité chez Win Sport School Lille, avec la participation du Cabinet M7 Avocats.

Avec le Groupe Tallec, l’école a organisé pour ses étudiants un challenge inédit qui s’est déroulé sur deux jours.

100 étudiants de Bachelor Management du Sport (B1, B2 et B3), répartis en 10 équipes se sont affrontés devant un jury spécialement composé de représentants du groupe Tallec mais aussi d’experts en marketing et en droit.

Les équipes ont travaillé sur différents thèmes tels que : l’attractivité d’un Bowling au sein de la station, la première ouverture hivernale d’un restaurant ou encore l’identité et le positionnement de l’enseigne Tallec au sein de la station La Rosière en Haute Savoie.

Chaque équipe a présenté son projet devant le jury de professionnels.

Maître Valentine SQUILLACI, associée du Cabinet, a rencontré chaque équipe pour les conseiller sur la prise de parole en public et l’art de convaincre.

Elle a par ailleurs fait partie du jury qui a sélectionné les trois équipes finalistes.

https://www.win-sport-school.com/actualite-lille/les-3-finalistes-du-winter-challenge

La fin des clauses de pollution dans les ventes d’immeubles par le dernier exploitant ?

Article rédigé par Me Valentine Squillaci et publié sur Lexbase – Hebdo édition publique n°645 du 18 novembre 2021 : Environnement

La Cour de cassation ne facilite décidément pas la tâche aux rédacteurs d’actes de vente immobilière, en particulier lorsqu’ils ont pour mission de conseiller le vendeur, ancien exploitant d’un site potentiellement toujours pollué.

En effet, après avoir décidé que le vendeur d’un immeuble, « en sa qualité de dernier exploitant », ne pouvait se prévaloir d’une clause de non-garantie des vices cachés dès lors qu’il ne « pouvait ignorer les vices affectant les locaux »[1], la Cour de cassation prive, aux termes de l’arrêt commenté, de toute efficacité une clause de pollution insérée dans l’acte de vente d’un terrain par son dernier exploitant (Cass. Civ. 3ème, 30 septembre 2021, n°20-15.354).

La décision permet en outre de mieux délimiter le domaine des deux obligations principales du vendeur posées par l’article 1603 du Code Civil, à savoir l’obligation de délivrer un bien conforme au contrat, et celle de garantir la chose qu’il vend, notamment à raison des vices cachés.

Les faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté sont les suivants.

La société Total Mayotte, après avoir exploité pendant six ans une station-service de distribution de carburants sur un terrain dont elle été propriétaire, a cessé cette activité en 2008.

Elle a, à cette occasion, et conformément à la législation, fait établir un diagnostic de pollution, engagé des travaux de réhabilitation, obtenu un rapport de synthèse de dépollution, ces travaux ayant été déclarés conformes par la DRIRE le 12 novembre 2008.

Le 29 mars 2010, la société Total Mayotte a échangé ce terrain avec la société Nel.

L’acte d’échange contenait « deux clauses relatives l’une à l’état du bien, l’autre à la pollution, dans lesquelles la SARL Nel, aux droits de laquelle viendrait la SCI Station Kaweni, renonce à toute action quant aux vices pouvant affecter le sol » et ayant ainsi pour « but d’exonérer la SAS Total Mayotte de tout recours de la SARL Nel en raison de l’état du sol et du sous-sol de l’immeuble pouvant être imputable à l’activité précédemment exercée sur ce dernier » [2] (ci-après « la clause de pollution »).

La société Nel a, quelques mois plus tard, revendu le terrain à la société SCI Station Kaweni, laquelle l’a donnée à bail à la société SODIFRAM.

Trois ans plus tard, des travaux sont entrepris sur la parcelle et une pollution d’hydrocarbures est décelée « au premier coup de godet » « signe d’un travail de dépollution pour le moins superficiel »[3].

Le terrain doit donc être dépollué, paralysant pendant plusieurs mois son exploitation, étant précisé que la charge de la dépollution est attribuée à la société Total, aux termes d’un arrêté préfectoral du 24 décembre 2013 intimant cette dernière de remettre en état le site.

Le propriétaire du bien et son locataire assignent leur vendeur, la société NEL, ainsi que son auteur, la société Total Mayotte, en réparation de leurs préjudices, liés à l’impossibilité d’utiliser le bien pendant plusieurs mois.

A titre reconventionnel, la société Total Mayotte sollicite quant à elle la condamnation de la société Nel à la garantir de ses condamnations, invoquant la clause de pollution convenue entre elles.

Statuant sur l’appel d’un jugement rendu le 7 mai 2018 par le Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou, la Cour d’Appel de Saint-Denis de la Réunion a (CA Saint-Denis, Chambre Civile, 4 février 2020, n°18/00078) a, d’une part, considéré que tant la société Total que la société Nel avaient manqué à leur obligation de délivrance en ne livrant pas un terrain exploitable et donc conforme à sa destination, à savoir sa constructibilité.

Elle a, d’autre part, débouté la société Total Mayotte de sa demande de garantie à l’encontre de la société Nel, considérant que la clause de pollution était contraire à l’ordre public, et plus précisément à l’obligation de dépollution du dernier exploitant lors de la mise à l’arrêt définitif de l’installation, prévue par l’article L. 512-12-1 du Code de l’Environnement.

La Cour de cassation a eu une analyse partiellement divergente puisqu’elle a quant à elle considéré qu’à la différence de celle de la société Total Mayotte, la responsabilité de la société Nel ne devait pas être engagée au titre du manquement à l’obligation de conformité mais au titre de la garantie des vices cachés dès lors que « la clause de pollution n’avait pas été reprise dans l’acte de la vente conclue entre les sociétés Nel et Skation Kaweni et que l’inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue ».

Ce faisant, l’arrêt rendu par la Cour définit précise nettement les contours des obligations de délivrance conforme et de garantie des vices cachés en matière de site pollués (I) mais pose la question de l’efficacité des clauses d’exonérations de responsabilité du vendeur comprises dans un acte de vente lorsque le vendeur est le dernier exploitant de l’activité polluante (II).

  1. Délivrance conforme ou garantie des vices cachés : les conditions du choix précisées par la Cour en matière de pollution

Le Code Civil impose au vendeur deux obligations principales (article 1603) : celle de délivrer une chose conforme au contrat (articles 1604 et suivants) et celle de garantir les « défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connus » (article 1641).

De prime abord, ces obligations semblent bien distinctes.

Dans certaines situations cependant, les obligations se chevauchent et le choix du fondement n’est pas une évidence.

La Cour de Cassation a, à de nombreuses reprises, eu à se prononcer sur ce choix et affirme traditionnellement que « le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale constitue le vice prévu par les articles 1641 et suivants »[4]

En application de ce principe, les défauts de fabrication, défectuosité et désordres pouvant affecter un bien constituent des vices cachés et, en présence d’un tel vice, seule l’action fondée sur les articles 1641 et suivants est ouverte à l’acquéreur.

A l’inverse, le défaut de conformité de la chose vendue à la destination qui a été spécifiée contractuellement constitue un manquement du vendeur à son obligation de délivrance. 

En application de ces principes, « l’inconstructibilité » notion visée par la Cour de Cassation dans notre arrêt, a été jugée à de nombreuses reprises comme étant un vice caché de la chose vendue dès lors que l’édification de constructions constitue la « destination normale » d’un terrain[5].

En revanche, la pollution de l’immeuble, lorsque l’acte de vente mentionne que celui-ci a fait l’objet d’une dépollution[6] ou que l’absence de pollution importante est entrée dans le champ contractuel[7], constitue quant à elle un défaut de conformité 

A contrario, si l’acquéreur a été parfaitement informé du risque de pollution et a renoncé expressément à engager la responsabilité du vendeur de ce chef, le bien, même s’il y est décelé une pollution, est conforme à la convention des parties et le vendeur ne commet pas de manquement à son obligation de délivrance[8].

L’arrêt commenté est particulièrement intéressant dès lors que la même pollution, sur un même bien, constitue successivement un défaut de conformité puis un vice caché selon la Cour de cassation.

Il convient d’analyser plus en détail les deux ventes et les raisons pour lesquelles la Cour leur applique un raisonnement distinct.

S’agissant de la première vente (ou plus précisément de l’échange) entre la société Total Mayotte et la société Nel, l’acte contenait une clause de pollution par laquelle l’acquéreur renonçait à tout recours relatif à l’état du sol. 

Surtout, était annexé à l’acte un rapport de synthèse de dépollution accréditant l’idée d’une dépollution complète du site. 

C’est cet élément qui emporte la qualification de défaut de conformité dès lors que, selon la Cour de Cassation, l’annexion de ce rapport contractualisait l’absence de pollution du site, comme cela était le cas dans l’arrêt du 29 février 2012 (cf supra).

Pour se démarquer de son arrêt du 16 janvier 2013 (cf supra), la Cour relève en effet qu’en l’espèce, l’acquéreur n’avait nullement accepté « un risque connu de pollution résiduelle ».

S’agissant en revanche de la seconde vente, dès lors qu’aucune clause de pollution n’avait été intégrée ni aucun rapport de pollution annexé, la qualification à retenir pour la pollution ultérieurement décelée est le vice caché, le bien n’était pas conforme à sa destination normale.

Et il convient de préciser que la mention de l’acte selon laquelle « l’acquéreur déclare que la parcelle objet des présentes est destinée à la construction de parkings, commerces et bureaux »[9], comme en l’espèce, ne modifie pas cette analyse.

Ces précisions sont les bienvenues dès lors que le régime des deux actions est différent, tout particulièrement s’agissant des délais de prescription applicables.

  1. La question de l’efficacité des clauses d’exonération de responsabilité du vendeur dernier exploitant en matière de pollution des sols 

Le lecteur de cet arrêt s’interroge légitimement sur la portée de la fameuse clause de pollution contenue dans l’acte conclu entre la société Total Mayotte et la société Nel qui n’est évoquée par la Cour que de manière secondaire, comme élément d’appréciation de l’acceptation ou non, par l’acquéreur, d’un risque de pollution.

La clause n’est pas appliquée et ce alors même qu’elle prévoyait expressément la possibilité pour la société Total d’être garantie en cas de recours se rapportant à l’état du sol.

La Cour, aux termes de sa motivation sur le moyen du pourvoi de la société Total Mayotte, s’explique uniquement sur le manquement à l’obligation de délivrance commis par la société Total sans indiquer la raison pour laquelle elle exclut l’appel en garantie formé par cette dernière à l’encontre de la société Nel.

Or, la qualification de manquement à l’obligation de délivrance n’exclut pas de jure l’application de la clause dès lors que la Cour de cassation a déjà admis la validité d’une clause limitant l’obligation de délivrance du vendeur[10].

Plusieurs explications sont donc possibles :

  • La première est celle retenue par la Cour d’Appel : la clause est contraire à l’ordre public dès lors qu’elle contredit l’obligation d’ordre public de dépollution du dernier exploitant lors de la mise à l’arrêt définitif de l’installation, prévue par l’article L. 512-12-1 du Code de l’Environnement.

Un raisonnement similaire a d’ores et déjà été retenu par la Cour pour écarter l’application d’une clause d’exclusion de la garantie des vices cachés[11].

  • La seconde, s’apparente aux vices du consentement et revient à écarter l’application de la clause qui n’avait été acceptée par la société Nel qu’en considération du rapport erroné de dépollution. 

A ce sujet, il est important de rappeler que la Cour de cassation a également jugé en la matière que le vendeur d’un immeuble, « en sa qualité de dernier exploitant », ne peut se prévaloir d’une clause de non-garantie des vices cachés dès lors qu’il ne « pouvait ignorer les vices affectant les locaux »[12].

Les possibilités d’exonération du vendeur d’immeuble, dernier exploitant au sens de la règlementation applicable aux Installations classées pour la protection de l’Environnement paraissent donc très réduites, et commandent une précaution toute particulière lors de la rédaction de ses clauses dont l’efficacité est nettement remise en cause.


[1] Cass. Civ. 3ème, 29 juin 2017, n°16-18.087

[2] CA Saint-Denis, Chambre Civile, 4 février 2020, n°18/00078

[3] ibid

[4] Voir notamment Civ. 1ère, 8 décembre 1993, n°91-19.627 ; Civ. 1re, 27 oct. 1993, n°91-21.416

[5] Civ. 3e, 1er oct. 1997, n°95-22.263 ; Civ. 3e, 24 févr. 1999, n°97-15.500 ; Civ. 3e, 15 mars 2000, n°97-19.959 

[6] Civ. 3e, 29 févr. 2012, n°11-10.318

[7] Cass. Civ. 3ème, 12 novembre 2014, n°13-25.079

[8] Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2013, n°11-27.101

[9] CA Saint-Denis, Chambre Civile, 4 février 2020, n°18/00078

[10] Civ. 1re, 24 nov. 1993: JCP 1994. II. 22334, note Leveneur; Defrénois 1994. 818, obs. D. Mazeaud.

[11] Civ. 3ème, 3 novembre 2011, n°10-14.986

[12] Cass. Civ. 3ème, 29 juin 2017, n°16-18.087