Article rédigé par Me Valentine Squillaci et publié sur Lexbase – Hebdo édition publique n°645 du 18 novembre 2021 : Environnement

La Cour de cassation ne facilite décidément pas la tâche aux rédacteurs d’actes de vente immobilière, en particulier lorsqu’ils ont pour mission de conseiller le vendeur, ancien exploitant d’un site potentiellement toujours pollué.

En effet, après avoir décidé que le vendeur d’un immeuble, « en sa qualité de dernier exploitant », ne pouvait se prévaloir d’une clause de non-garantie des vices cachés dès lors qu’il ne « pouvait ignorer les vices affectant les locaux »[1], la Cour de cassation prive, aux termes de l’arrêt commenté, de toute efficacité une clause de pollution insérée dans l’acte de vente d’un terrain par son dernier exploitant (Cass. Civ. 3ème, 30 septembre 2021, n°20-15.354).

La décision permet en outre de mieux délimiter le domaine des deux obligations principales du vendeur posées par l’article 1603 du Code Civil, à savoir l’obligation de délivrer un bien conforme au contrat, et celle de garantir la chose qu’il vend, notamment à raison des vices cachés.

Les faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté sont les suivants.

La société Total Mayotte, après avoir exploité pendant six ans une station-service de distribution de carburants sur un terrain dont elle été propriétaire, a cessé cette activité en 2008.

Elle a, à cette occasion, et conformément à la législation, fait établir un diagnostic de pollution, engagé des travaux de réhabilitation, obtenu un rapport de synthèse de dépollution, ces travaux ayant été déclarés conformes par la DRIRE le 12 novembre 2008.

Le 29 mars 2010, la société Total Mayotte a échangé ce terrain avec la société Nel.

L’acte d’échange contenait « deux clauses relatives l’une à l’état du bien, l’autre à la pollution, dans lesquelles la SARL Nel, aux droits de laquelle viendrait la SCI Station Kaweni, renonce à toute action quant aux vices pouvant affecter le sol » et ayant ainsi pour « but d’exonérer la SAS Total Mayotte de tout recours de la SARL Nel en raison de l’état du sol et du sous-sol de l’immeuble pouvant être imputable à l’activité précédemment exercée sur ce dernier » [2] (ci-après « la clause de pollution »).

La société Nel a, quelques mois plus tard, revendu le terrain à la société SCI Station Kaweni, laquelle l’a donnée à bail à la société SODIFRAM.

Trois ans plus tard, des travaux sont entrepris sur la parcelle et une pollution d’hydrocarbures est décelée « au premier coup de godet » « signe d’un travail de dépollution pour le moins superficiel »[3].

Le terrain doit donc être dépollué, paralysant pendant plusieurs mois son exploitation, étant précisé que la charge de la dépollution est attribuée à la société Total, aux termes d’un arrêté préfectoral du 24 décembre 2013 intimant cette dernière de remettre en état le site.

Le propriétaire du bien et son locataire assignent leur vendeur, la société NEL, ainsi que son auteur, la société Total Mayotte, en réparation de leurs préjudices, liés à l’impossibilité d’utiliser le bien pendant plusieurs mois.

A titre reconventionnel, la société Total Mayotte sollicite quant à elle la condamnation de la société Nel à la garantir de ses condamnations, invoquant la clause de pollution convenue entre elles.

Statuant sur l’appel d’un jugement rendu le 7 mai 2018 par le Tribunal de Grande Instance de Mamoudzou, la Cour d’Appel de Saint-Denis de la Réunion a (CA Saint-Denis, Chambre Civile, 4 février 2020, n°18/00078) a, d’une part, considéré que tant la société Total que la société Nel avaient manqué à leur obligation de délivrance en ne livrant pas un terrain exploitable et donc conforme à sa destination, à savoir sa constructibilité.

Elle a, d’autre part, débouté la société Total Mayotte de sa demande de garantie à l’encontre de la société Nel, considérant que la clause de pollution était contraire à l’ordre public, et plus précisément à l’obligation de dépollution du dernier exploitant lors de la mise à l’arrêt définitif de l’installation, prévue par l’article L. 512-12-1 du Code de l’Environnement.

La Cour de cassation a eu une analyse partiellement divergente puisqu’elle a quant à elle considéré qu’à la différence de celle de la société Total Mayotte, la responsabilité de la société Nel ne devait pas être engagée au titre du manquement à l’obligation de conformité mais au titre de la garantie des vices cachés dès lors que « la clause de pollution n’avait pas été reprise dans l’acte de la vente conclue entre les sociétés Nel et Skation Kaweni et que l’inconstructibilité du terrain constituait non un défaut de conformité, mais un vice caché de la chose vendue ».

Ce faisant, l’arrêt rendu par la Cour définit précise nettement les contours des obligations de délivrance conforme et de garantie des vices cachés en matière de site pollués (I) mais pose la question de l’efficacité des clauses d’exonérations de responsabilité du vendeur comprises dans un acte de vente lorsque le vendeur est le dernier exploitant de l’activité polluante (II).

  1. Délivrance conforme ou garantie des vices cachés : les conditions du choix précisées par la Cour en matière de pollution

Le Code Civil impose au vendeur deux obligations principales (article 1603) : celle de délivrer une chose conforme au contrat (articles 1604 et suivants) et celle de garantir les « défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage, que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connus » (article 1641).

De prime abord, ces obligations semblent bien distinctes.

Dans certaines situations cependant, les obligations se chevauchent et le choix du fondement n’est pas une évidence.

La Cour de Cassation a, à de nombreuses reprises, eu à se prononcer sur ce choix et affirme traditionnellement que « le défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale constitue le vice prévu par les articles 1641 et suivants »[4]

En application de ce principe, les défauts de fabrication, défectuosité et désordres pouvant affecter un bien constituent des vices cachés et, en présence d’un tel vice, seule l’action fondée sur les articles 1641 et suivants est ouverte à l’acquéreur.

A l’inverse, le défaut de conformité de la chose vendue à la destination qui a été spécifiée contractuellement constitue un manquement du vendeur à son obligation de délivrance. 

En application de ces principes, « l’inconstructibilité » notion visée par la Cour de Cassation dans notre arrêt, a été jugée à de nombreuses reprises comme étant un vice caché de la chose vendue dès lors que l’édification de constructions constitue la « destination normale » d’un terrain[5].

En revanche, la pollution de l’immeuble, lorsque l’acte de vente mentionne que celui-ci a fait l’objet d’une dépollution[6] ou que l’absence de pollution importante est entrée dans le champ contractuel[7], constitue quant à elle un défaut de conformité 

A contrario, si l’acquéreur a été parfaitement informé du risque de pollution et a renoncé expressément à engager la responsabilité du vendeur de ce chef, le bien, même s’il y est décelé une pollution, est conforme à la convention des parties et le vendeur ne commet pas de manquement à son obligation de délivrance[8].

L’arrêt commenté est particulièrement intéressant dès lors que la même pollution, sur un même bien, constitue successivement un défaut de conformité puis un vice caché selon la Cour de cassation.

Il convient d’analyser plus en détail les deux ventes et les raisons pour lesquelles la Cour leur applique un raisonnement distinct.

S’agissant de la première vente (ou plus précisément de l’échange) entre la société Total Mayotte et la société Nel, l’acte contenait une clause de pollution par laquelle l’acquéreur renonçait à tout recours relatif à l’état du sol. 

Surtout, était annexé à l’acte un rapport de synthèse de dépollution accréditant l’idée d’une dépollution complète du site. 

C’est cet élément qui emporte la qualification de défaut de conformité dès lors que, selon la Cour de Cassation, l’annexion de ce rapport contractualisait l’absence de pollution du site, comme cela était le cas dans l’arrêt du 29 février 2012 (cf supra).

Pour se démarquer de son arrêt du 16 janvier 2013 (cf supra), la Cour relève en effet qu’en l’espèce, l’acquéreur n’avait nullement accepté « un risque connu de pollution résiduelle ».

S’agissant en revanche de la seconde vente, dès lors qu’aucune clause de pollution n’avait été intégrée ni aucun rapport de pollution annexé, la qualification à retenir pour la pollution ultérieurement décelée est le vice caché, le bien n’était pas conforme à sa destination normale.

Et il convient de préciser que la mention de l’acte selon laquelle « l’acquéreur déclare que la parcelle objet des présentes est destinée à la construction de parkings, commerces et bureaux »[9], comme en l’espèce, ne modifie pas cette analyse.

Ces précisions sont les bienvenues dès lors que le régime des deux actions est différent, tout particulièrement s’agissant des délais de prescription applicables.

  1. La question de l’efficacité des clauses d’exonération de responsabilité du vendeur dernier exploitant en matière de pollution des sols 

Le lecteur de cet arrêt s’interroge légitimement sur la portée de la fameuse clause de pollution contenue dans l’acte conclu entre la société Total Mayotte et la société Nel qui n’est évoquée par la Cour que de manière secondaire, comme élément d’appréciation de l’acceptation ou non, par l’acquéreur, d’un risque de pollution.

La clause n’est pas appliquée et ce alors même qu’elle prévoyait expressément la possibilité pour la société Total d’être garantie en cas de recours se rapportant à l’état du sol.

La Cour, aux termes de sa motivation sur le moyen du pourvoi de la société Total Mayotte, s’explique uniquement sur le manquement à l’obligation de délivrance commis par la société Total sans indiquer la raison pour laquelle elle exclut l’appel en garantie formé par cette dernière à l’encontre de la société Nel.

Or, la qualification de manquement à l’obligation de délivrance n’exclut pas de jure l’application de la clause dès lors que la Cour de cassation a déjà admis la validité d’une clause limitant l’obligation de délivrance du vendeur[10].

Plusieurs explications sont donc possibles :

  • La première est celle retenue par la Cour d’Appel : la clause est contraire à l’ordre public dès lors qu’elle contredit l’obligation d’ordre public de dépollution du dernier exploitant lors de la mise à l’arrêt définitif de l’installation, prévue par l’article L. 512-12-1 du Code de l’Environnement.

Un raisonnement similaire a d’ores et déjà été retenu par la Cour pour écarter l’application d’une clause d’exclusion de la garantie des vices cachés[11].

  • La seconde, s’apparente aux vices du consentement et revient à écarter l’application de la clause qui n’avait été acceptée par la société Nel qu’en considération du rapport erroné de dépollution. 

A ce sujet, il est important de rappeler que la Cour de cassation a également jugé en la matière que le vendeur d’un immeuble, « en sa qualité de dernier exploitant », ne peut se prévaloir d’une clause de non-garantie des vices cachés dès lors qu’il ne « pouvait ignorer les vices affectant les locaux »[12].

Les possibilités d’exonération du vendeur d’immeuble, dernier exploitant au sens de la règlementation applicable aux Installations classées pour la protection de l’Environnement paraissent donc très réduites, et commandent une précaution toute particulière lors de la rédaction de ses clauses dont l’efficacité est nettement remise en cause.


[1] Cass. Civ. 3ème, 29 juin 2017, n°16-18.087

[2] CA Saint-Denis, Chambre Civile, 4 février 2020, n°18/00078

[3] ibid

[4] Voir notamment Civ. 1ère, 8 décembre 1993, n°91-19.627 ; Civ. 1re, 27 oct. 1993, n°91-21.416

[5] Civ. 3e, 1er oct. 1997, n°95-22.263 ; Civ. 3e, 24 févr. 1999, n°97-15.500 ; Civ. 3e, 15 mars 2000, n°97-19.959 

[6] Civ. 3e, 29 févr. 2012, n°11-10.318

[7] Cass. Civ. 3ème, 12 novembre 2014, n°13-25.079

[8] Cass. Civ. 3ème, 16 janvier 2013, n°11-27.101

[9] CA Saint-Denis, Chambre Civile, 4 février 2020, n°18/00078

[10] Civ. 1re, 24 nov. 1993: JCP 1994. II. 22334, note Leveneur; Defrénois 1994. 818, obs. D. Mazeaud.

[11] Civ. 3ème, 3 novembre 2011, n°10-14.986

[12] Cass. Civ. 3ème, 29 juin 2017, n°16-18.087

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